Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Mangez-moi
Publicité
Archives
13 mai 2014

tenir debout

Le matin j'me lève, j'm'arrache du lit laborieusement. Environ trois quart d'heure pour accomplir ça.

J'avale dare-dare deux brioches "pompoms au chocolat" assaisonnées d'un verre de coca. Je trace au métro. Les bulles me filent la gerbe, je me concentre pour tenir la route.

Je travaille dans un genre d'école avec des enfants qui ont un handicap plus ou moins lourd. Tous sont exclus du système ordinaire. Bon ça va, on rigole bien, dans un monde de handicap ça finit par passer inaperçu. Du moins quand on est pas trop impliqué émotionnellement. J'dirais pas la même de certaines familles qui vivent recluses à mort tellement le handicap a pris toute la place.

Les gamins sont sympas. Bon des fois un peu relous, comme tous les enfants et les adultes aussi. Y'a les super-cool, les casse-couilles, les gentils, les espiègles, les mignons, les flemmards, les timides, les p'tits-agités, les tendres, les durs. Globalement ils s'en tirent bien, on s'marre. Ça dépend aussi de combien chui fatiguée. Mais ça c'est ma faute, ils en bavent 10 fois plus.

On apprend des trucs, on progresse, faut que ça soit ludique sinon ça marche pas. Faut capter leur truc à chacun, ce qui les branche.

Y'a une petite fille qui sait pas dire « Non » ; tu lui donnes de la moutarde à pleine cuillère et elle la mange sans rien dire en grimaçant. Y'a un ado IMC avec plein d'humour mais hyper spastique qui part en extension à la moindre petite émotion ; un bruit soudain, un souvenir plaisant, et son corps c'est un ressort. Y'a ce garçon qui a un milliard de trucs à dire mais qui a des troubles praxiques-phonologiques-gnosiques-frontaux, du coup il est inintelligible et c'est compliqué, c'est rageant et triste et injuste. Y'a un ptit gars son problème, c'est qu'il produit pas l'hormone nécessaire à la régulation du stress, alors il monte il monte, il vit sous haute tension, et après il finit aux urgences en flip intégral, en plus il est hypersensible aux bruits donc ça fait minimum 1000 raisons/heure de s'arracher les cheveux. Y'a celui-ci qui est né sourd, aveugle et autiste. Y'a une jeune fille qui plafonne à 20 aux tests de QI mais qui sait lire, parce qu'elle est intelligente mais que son cerveau fonctionne autrement, et parce qu'on est nuls pour apprécier la différence. Y'a ce jeune autiste très très sociable mais qui connaît pas les codes, alors pour dire bonjour et maintenir un contact humain, il lance « Le paradis c'est où ? » toute la journée. Y'a cette enfant qui casse des gueules parce que la vie l'agresse h24 et qu'il lui manque les mots pour s'en défendre, mais qui peut aussi être si tendre et si jolie.

On travaille, on apprend à s'affirmer, à reconnaître ce qui nous plaît ou pas, à comprendre ce qu'on ressent et ce qui se passe, à parler autrement. C'est dur des fois mais on s'accroche et on progresse. Des fois c'est des mini-progrès mais ça peut changer beaucoup. Des fois aussi ça reste merdique. Des fois on y pense la nuit.

Après le soir je reprends le tromé. Aujourd'hui quand je suis montée, y'avait une fille qui sanglotait, du genre violent. Ce moment gênant de contemplation du désespoir total. Des larmes énormes qui roulent sur ses joues, des hoquets de suffocation, un regard fixe. Elle s'arrête pas, elle continue. Les gens la regardent, certains à la dérobée, d'autres cherchent ses yeux et esquissent un sourire consolant. La fille debout s'assied par terre n'importe comment, rien à foutre de sa jupe. Ses sanglots redoublent. On dirait qu'elle s'étouffe, mais non juste elle pleure. Une autre fille à l'air gentil s'approche et la ramasse, elle lui dit « Venez, on va sortir à cette station »

 

Bande-son :

Snak The Ripper - Yup (Official Video)

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité